Contre la rivalité guerrière, une culture de paix…

Une culture de paix est exigeante : elle demande en effet de modifier des schémas mentaux.
La paix n’est pas une trêve entre deux guerres, ni l’effet d’un traité qui distingue dramatiquement une classe de vainqueurs, une classe de vaincus. Ces rituels donnent à la guerre l’occasion de renaître de ses cendres, parce que le triomphe pompeux des uns fait l’humiliation douloureuse des autres. La nouvelle domination des premiers, engendrant la volonté de revanche des seconds, fabrique inexorablement une bombe à retardement.
La force de la paix ne peut pas être de cet ordre-là; c’est en accordant une même dignité aux participants à la négociation qu’elle peut s’imposer sans brutalité. Là où la guerre a défiguré, la paix offre un visage aux adversaires.
C’est en quittant ces complicités avec l’esprit de rivalité propre à la guerre, c’est en abandonnant les résidus sous-jacents de la tyrannie (expansionnisme, soif de pouvoir) que la paix devient réellement victorieuse et qu’elle devient juste.
Les liens nouveaux qu’elle tisse entre les hommes n’enchaînent pas les vaincus; ils poussent les vainqueurs à déraciner les germes de violence jusque dans leur comportement individuel. Les arts martiaux eux-mêmes nous le montrent.
C’est donc sans trône et sans domination que peut régner la paix.
L’appel à reconstruire, à restaurer – que ce soit un habitat ou une relation – exige de rebâtir ensemble en s’assurant que les bases de l’entente entre anciens belligérants soient solides.
Il faut ici s’inspirer de la sagesse ancestrale des tribus amérindiennes qui nous apprend à enterrer la hache de guerre avant de fumer le calumet de la paix, à respecter la durée comme une alliée précieuse.
Prendre le temps d’analyser les causes potentielles d’un nouveau conflit ou d’une nouvelle guerre (en luttant contre les préjugés, les stéréotypes, les amalgames, en s’informant sur l’histoire réelle des uns et des autres) fait déjà partie d’une action pacifique.
Laisser au temps (indépendamment des bonnes intentions qui voudraient hâter la réconciliation) le soin de faire son œuvre de cicatrisation et de distanciation, afin que le passé ne soit plus un obstacle pour envisager l’avenir, participe au lâcher-prise contraignant mais fécond que réclame également une action pacifique.
Il s’agit en effet de donner le temps aux colères de s’exprimer, aux révoltes de ne rien perdre de leur justification éventuelle, pour les transformer en une saine combativité.
L’indignation n’est véritablement vertueuse que si les propos dictés par l’émotion peuvent être passés au crible de la réflexion, et sont donc susceptibles de créer des liens profitables à tous.
Ce qui n’apaise pas les esprits réalimente inévitablement de nouvelles querelles.
C’est ce qu’a remarquablement réalisé la justice dite restauratrice dont le persévérant travail porte de plus en plus de fruits.
Seule la dimension de profondeur qui fait accéder à la connaissance de soi ou au désir de ne plus juger la personne, mais uniquement son comportement, peut œuvrer à l’apaisement, voire au pardon. Mais celui-ci n’est jamais exigible et relève d’une autre « juridiction » que celle de la stricte et indispensable justice humaine.
Enterrer la hache de guerre, c’est donc creuser profondément le sol pour savoir où se cachent les racines de la toute-puissance et de l’absolutisation qui accompagnent l’envie de tout maitriser et finalement de tout détruire.
Or, ces racines se cachent d’autant plus qu’elles sont inextricablement liées à une soif d’absolu qui, elle, fait la grandeur de l’homme, inspire ses passions les plus élevées, et le pousse à créer.
C’est pourquoi déradicaliser, c’est soutenir, consolider en amont les moyens de répondre à cette soif d’absolu positive pour faire obstacle à un désespoir latent chez beaucoup de jeunes : des causes sociales et économiques peuvent indubitablement l’expliquer, mais ne rendent pas compte de sa complexité.
En même temps que se développe le sentiment de n’être pas utile, de n’être pas reconnu, se développe un désir insatiable de célébrité; pour l’acquérir, tous les moyens sont permis, même le délit, s’il précipite l’enrichissement et donc une prétendue ascension sociale. Devenir une « star » imprègne dès le plus jeune âge les mentalités et conforte un narcissisme qui, progressivement, se fait ravageur, au point de se mettre en scène à travers des actes de violence effective : racket, sévices, etc.
Cette énergie « désespérée », cette volonté d’exister – coûte que coûte – conduisent à une Image de « Soi » surdimensionnée, vengeresse, qu’il sera satisfaisant de nommer « Dieu » pour en assurer la pseudo-immortalité. Peu importe, dès lors, qu’il soit nécessaire de tuer ou de se tuer, puisque le « Moi » est invincible.
Face à ce constat et à ce niveau de dangerosité, nous n’avons plus le droit d’ignorer les ambiguïtés de l’âme humaine; nous avons le devoir d’en tenir compte et de mobiliser les compétences qui peuvent éclairer l’éducation au sens large : du parent au gardien de la paix, du professeur à l’animateur de sport ou de théâtre, du journaliste d’information aux municipalités, de l’assistance sociale au monde médical, de l’action politique à l’action religieuse…
Autrement dit, nous avons tous le devoir de faire franchir à la société toute entière le seuil de maturité que représente une culture de paix.

  • Elle seule permet de ne pas s’enliser dans les sables mouvants d’une histoire figée et de querelles inadaptées à notre époque.
  • Elle seule permet de civiliser un enfant, de l’entourer, en l’éloignant des mentalités archaïques qui précipitent vers la barbarie et des publicités tentatrices qui les réveillent.
  • Elle seule, libérant à égalité un garçon et une fille du carcan de l’obscurantisme et des images dégradantes, peut favoriser le respect de la relation homme-femme.
  • Elle seule, rompant le contrat qui la rendait complice de la rivalité guerrière, peut, sans forfanterie, faire aimer la fraternité au point de faire prendre conscience que le meurtre d’un être humain est toujours le meurtre d’un frère.