C’est la rentrée… Les enfants ont pris le chemin de l’école. Pour les plus petits, c’est la première fois et c’est l’inconnu. Pour les plus grands, c’est la joie d’apprendre encore plus, ou la peur de n’être pas à la hauteur. C’est pour les uns le plaisir de retrouver leurs camarades, pour les autres la crainte d’être isolés, voire harcelés. Dans tous les cas, il va falloir s’adapter aux enseignants et gérer – bon an, mal an – un vivre-ensemble.
Chaque année, c’est une société en miniature qui se construit, encadrée par une Éducation dite Nationale. Car ce sont bien des futurs citoyens qu’il faut éduquer : non pas endoctriner, non pas dresser, non pas rendre passifs, mais faire sortir de l’ignorance et de ses préjugés.
Il s’agit donc de développer l’attention, d’entretenir la curiosité, de rectifier l’erreur sans brimer, d’interdire sans frustrer, en abandonnant définitivement le schéma mental de la férule et du bonnet d’âne qui a engendré des générations d’humiliés, et cautionné la moquerie des premiers de classe.
Il s’agit donc d’apprendre à connaître, à faire, à vivre ensemble, à être, comme le synthétisait la Commission Delors en 1996.
Pour cela, l’éducateur (au sens large) doit se former au discernement des talents enfouis qui ne se révéleront que si on les encourage à se dévoiler. Encourager, c’est insuffler de l’énergie, c’est faire naître, faire apparaître à l’enfant ce dont il est capable, creuser en lui la volonté de s’instruire. On comprend la référence de Socrate au savoir-faire de la sage-femme, c’est-à-dire l’art d’accoucher non pas les corps mais les esprits.
On comprend aussi la reconnaissance éperdue d’Albert Camus * envers son instituteur Monsieur Germain et celle, par ricochet, que nous lui devons tous pour avoir permis le rayonnement d’une telle personnalité.
Autrement dit, enseigner n’est pas seulement un métier qu’il convient de rémunérer correctement, mais véritablement un art. Car c’est une belle tâche en effet que d’élever un enfant, un adolescent, un jeune adulte, de lui faire consolider ses acquis pour passer à un niveau d’exigence plus grand. En somme, de lui apprendre à apprendre pour le restant de sa vie.
La vie doit être une éducation incessante ; il faut tout apprendre, depuis parler jusqu’à mourir écrivait Flaubert. En ce sens, la pédagogie ne peut être que partagée avec les parents, et si l’éducation se veut vraiment nationale, elle doit admettre la nécessité de propager les Écoles des Parents afin que, là encore, une intelligence collective se développe le plus harmonieusement possible entre les familles, les professeurs et les médias autour de la croissance des enfants et de leur protection.
L’instruction – publique – ouverte à tous et à toutes, voulue par Jules Ferry, Camille Sée entre autres doit être plus que jamais la priorité dans un pays qui se déchire à cause de ses inégalités, de ses divisions politiques, sans compter un retour à l’obscurantisme.
D’autres Monsieur Germain, d’autres Maria Montessori sont prêts, n’en doutons pas, à prendre le relais et à faire éclore les talents à venir … même les plus cachés.
Beaucoup de postes sont à pourvoir…
Marie-Pierre Oudin
* Extrait de la lettre d’Albert Camus (qui vient alors de recevoir le Prix Nobel de littérature) à Monsieur Germain, datée du 19 novembre 1957.
Cher Monsieur Germain,
J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un trop grand honneur que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous.
Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé […]
Je vous embrasse de toutes mes forces,
Albert Camus