Le compromis : une ascèse indispensable à la démocratie

Quand on vit dans un monde d’écrans où on demande aux enfants de moins manger de sucre tout en les alléchant  constamment avec des friandises qui en sont gorgées,  quand on regrette à longueur de journée l’extension de la  violence tout en instillant, via les réseaux sociaux, le goût de détruire,  on ne peut que constater les dérives d’une duplicité devenue permanente. Il ne faut pas, dès lors, s’étonner du nombre croissant  des  comportements schizophrènes et du climat d’insécurité qui s’ensuit.

Cette duplicité s’inspire à son insu d’une pensée dualiste, voire manichéenne, qui n’entrevoit jamais la nécessité d’une voie médiane, d’un troisième terme, pour sortir de l’impasse :
ou bien le sucre ou bien la tristesse,
ou  bien le recours à la  violence ou bien le harcèlement, 
ou bien le conflit ou bien la fraternité…

Dans ces conditions,  les appels à la retenue, à la sobriété, au calme ne sont pas entendus comme ne sont pas entendus les appels au compromis.

Quand une société veut se structurer harmonieusement et, qui plus est, démocratiquement, peut-elle se passer du ciment de la confiance, ce préalable tacitement présent dans toute forme de négociation digne de ce nom ?

La confiance est audacieuse : elle parie sur les premiers pas incertains d’une marche vers l’inconnu. Elle sert de base de lancement en engageant avant tout à ne pas tromper le partenaire et en ne choisissant pas l’intransigeance comme mode de communication. Elle s’écarte donc d’un système de pensée binaire et clivant pour aboutir à un consensus qui fait renoncer chacun des partenaires à un triomphe personnel. L’accord obtenu relève alors d’une victoire commune que nul ne peut revendiquer isolément.

Apprendre à négocier, à chercher véritablement un compromis, oblige donc à rompre avec une stratégie d’encerclement, de séduction, de manipulation, qui a, au fond, pour seul but de désigner un vainqueur et un vaincu.

Vouloir un  compromis développe par conséquent un désir de travailler ensemble et encourage la reconnaissance des  bienfaits d’une intelligence collective; à tel point que, dans une négociation réussie, les adversaires peuvent se considérer comme des coéquipiers… et ne plus souhaiter désigner qui a tort et qui a raison.

La recherche du compromis constitue donc une ascèse, un mode de  vie permanent, qui exclut d’obéir à l’immédiateté des émotions, au goût des simplifications abusives.  Elle se laisse guider par la  probité envers autrui et l’honnêteté intellectuelle.

À l’école du compromis, on apprend en effet à tenir les deux bouts de la chaîne, à envisager la  complexité des situations et à éviter ainsi le dualisme du ou bien, ou bien qui empêche trop souvent de concilier les propositions en apparence contradictoires et de répondre simultanément à des demandes légitimes.

Ainsi en est-il, par exemple, quand on oppose – systématiquement – le désir de créer des richesses et le refus de la misère, le civisme et le patriotisme, une écologie de droite et une écologie de gauche, le maintien de la Paix et la nécessité de la Défense.

Au nom d’une intransigeance nostalgique et idéologique, au  nom de combats révolus et fantasmés, on s’interdit de tourner les pages que l’Histoire elle-même nous invite à  dépasser pour trouver des solutions ajustées aux défis actuels et demeurer fidèles à l’esprit de la devise républicaine, sans en omettre la Fraternité…!

La recherche du compromis est donc, paradoxalement, radicale puisqu’elle nous enracine dans le champ des possibles et des faisables. Elle nous empêche de nous engluer dans le fatalisme de la lutte des classes, du racisme, du sexisme. Cette radicalité-là a le mérite d’ouvrir des fenêtres sur l’avenir et de refuser les barricades mentales. Pourquoi ne pas l’essayer partout, aussi bien en famille à l’école, en entreprise, en prison qu’à l’Assemblée, au Sénat…, là où le conflit s’enlise et s’éternise sans qu’on veuille véritablement restaurer des liens et, pour tout dire, innover ?

Marie-Pierre Oudin