A l’origine du contrat social : la tendresse

On peut bien qualifier de « commerciales » les fêtes des mères et des pères, des grands-parents et de la Saint-Valentin, il n’en reste pas moins qu’elles révèlent une soif de tendresse qui doit nous interroger.

Qu’appelle-t-on tendresse?

Contrairement à ce qui est dur, difficile à avaler, ce qui est tendre est moelleux, facile à digérer,  doux au palais ou au toucher. Il n’est pas étonnant que le lait maternel, ainsi que le sein  tendu au nouveau-né soient symboliquement reliés à l’image de la tendresse.

Source de  vie, la tendresse est en effet  douce et protectrice : elle porte, elle anticipe, elle prépare le nid ou le berceau, elle se préoccupe de la sécurité.  Force organisationnelle, elle requiert la participation des deux parents, celle des membres de la famille, et finalement celle de la société tout entière.

C’est dans ce sens qu’elle est à l’origine d’un contrat social – naturel – commun aux animaux et aux hommes : tout est réalisé pour protéger les « petits ».

Mais la tendresse est également ambivalente, spontanément reliée à un système de défense : préservation du territoire, éloignement des prédateurs,  séparation d’avec les « méchants ». Elle met à l’abri les uns  en menaçant les autres.

Guidée par l’instinct de survie, la tendresse peut donc devenir possessive et féroce ; simple manifestation de la loi de la jungle, elle s’oppose à toute forme de régulation ou de négociation. Pour protéger, elle est prête à tuer.

Il est donc nécessaire de canaliser la tendresse, de la détacher des émotions qui la maintiennent sauvage, clanique, pour sauvegarder ce qui fait sa grandeur, à savoir son amour de la vie, sa volonté de rendre heureux, sa joie gratuite de nourrir, de donner, de consoler, d’apaiser la soif, la faim, la douleur, la détresse.

Ce faisant, elle se mue en  bonté : non plus instinctive ni « animale », elle devient modératrice et se transforme peu à peu en alliée indispensable du droit international.

Elle libère l’esclave de ses entraves.

Elle inspire la volonté d’abolir la peine de mort.

À la cruauté du châtiment elle substitue la juste sanction.

Elle accompagne le prisonnier pour le relever.

Inconditionnellement humaine, elle contribue à la cohérence des systèmes politiques et éducatifs.

Sans véritable tendresse, le contrat social ne tient plus ses promesses : la démocratie cède la place à la tyrannie qui, sous prétexte de protection, impose, divise, accumule les richesses et se barricade selon le schéma d’un attachement primitif, possiblement dévorant et meurtrier.

La beauté et la bonté d’une tendresse qui n’est pas dévoyée nous font constamment croître et peuvent  animer en profondeur nos relations amoureuses ainsi que nos relations maternelles et paternelles. Celles-ci méritent d’être célébrées par l’ensemble d’une société soucieuse de faire advenir plus d’humanité.

Dans un monde qui est « stone« , comme le déplorait la chanteuse Fabienne Thibeault *, la Tendresse demeure, immanente et transcendante, l’incontournable ferment de notre cohésion sociale. Identifions-la comme la fibre essentielle de notre tissu social.

Marie-Pierre Oudin

Le monde est stone – 1978