Démocratie et religion

En refusant la tutelle de la religion, tout en garantissant la liberté des cultes, la laïcité à la française a progressivement empêché ses dirigeants d’instrumentaliser la piété populaire et la pratique religieuse.
Reléguée dans la sphère du privé, la religion a, de son côté, effectué une saine remise en cause de son influence dans la société civile et a développé, par exemple, une action caritative et solidaire reconnue « d’utilité publique ».
Entre la Démocratie et la Religion, malgré de multiples confrontations et des hypocrisies réciproques, il y a donc une possible et féconde connivence. Encore faut-il respecter la transcendance du Droit et la transcendance de valeurs universelles telles que la Liberté et l’Égalité, sans oublier la Fraternité.
Or, envisager une réalité transcendante, c’est évoquer l’existence de valeurs qui exigent de se dépasser et de s’ouvrir à plus grand que soi, sans exclure éventuellement l’existence d’un Être supérieur à l’homme.
S’engager dans cette voie est forcément complexe et il peut paraître présomptueux de distinguer un vrai recours à la transcendance d’un faux recours à la transcendance, autrement dit une vraie d’une fausse spiritualité. La prudence recommande pourtant de le faire pour ne pas s’égarer dans un monde d’illusions pseudo-éthiques et pseudo-spirituelles ni sombrer dans la confusion mentale générée par le narcissisme ou la mégalomanie qui pèsent sur notre planète.
Le pouvoir américain comme le pouvoir russe s’appuient en effet sur la religion en l’amputant de ses exigences de justice et d’équité ; ils invoquent également des raisons morales (la « paix » pour D. Trump, la « dénazification » pour V. Poutine ) pour justifier leur impérialisme et, pire, le présenter comme un chemin de salut.
Ce double détournement de valeurs transforme un État de droit en État-voyou et réduit la religion à n’être que l’opium d’un électorat ou d’un peuple rendu tragiquement, et à son insu, complice de spoliation, de massacres et de guerre fratricide.
L’extrême droite, en France comme aux États-Unis, leur emboîte le pas quand elle s’approprie sans vergogne le combat de Martin Luther King contre la discrimination raciale et le combat de Dietrich Bonhoeffer contre le nazisme, pour rectifier son image ou l’auréoler.

Il existe dans la Bible un verset qui, sans contredire l’esprit d’une laïcité bien comprise, a le mérite d’interpeller en profondeur tous les pouvoirs politiques et les religions quelles qu’elles soient :

Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il a de la haine pour son frère, c’est un menteur. Comment celui qui n’aime pas son frère qu’il voit peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? *

La fermeté et le bon sens de ces propos peuvent aider à discerner, dans une référence à la transcendance, ce qui est mortifère et ce qui est libérateur.
La fausse spiritualité rompt la relation avec autrui. La vraie la maintient fraternelle.
La fausse est idéologique et tyrannique. La vraie apprécie l’esprit critique et les lumières de la raison.
La fausse conduit à la barbarie. La vraie contribue aux progrès de la civilisation.

Il y a urgence à faire preuve de vigilance et à ne pas confondre les vraies et les fausses spiritualités si nous voulons sauvegarder à la fois les apports de la démocratie et les apports de la religion : leur éclairage mutuel et leur action commune en faveur des droits de l’homme sont devenus indispensables pour ne pas travestir le mal en bien ni ériger le mensonge en vérité, et pour ne pas tomber dans le piège de l’obscurantisme. L’Histoire livre ses leçons pour nous rappeler que l’obscurantisme est toujours le terreau du populisme et du totalitarisme.

Marie-Pierre Oudin

* Première lettre de Jean : chap. 4 v 20-21.